Pourquoi méditer aujourd’hui ? Écologie de l’univers intérieur

Conférence prononcée le 18 octobre 2018 par Marie Clavé Caillaud au Forum 104-Paris Début septembre 2018, Aurélien Barrau, 45 ans, astrophysicien à l’université Grenoble-Alpes, lançait avec l’actrice Juliette Binoche un appel pour une action politique « ferme et immédiate » face au changement climatique. Cet appel pour sauver la planète, signé par deux cents personnalités, est paru dans le journal Le Monde du 2 septembre 2018. Il présentait la situation en des termes très forts :
  • « Face au plus grand défi de l’histoire de l’humanité, le pouvoir politique doit agir fermement et immédiatement. Il est temps d’être sérieux »
  • « Nous vivons un cataclysme planétaire »
  • « Un gouvernement qui ne ferait pas du sauvetage de ce qui peut encore l’être ne saurait être pris au sérieux »
Quelques jours après, au Festival Climax qui avait lieu à l’espace Darwin de Bordeaux, Aurélien Barrau renouvelle dans un discours percutant et alarmant son analyse de la situation conduisant à de terribles conséquences telles que l’afflux de réfugiés que l’on n’accueille pas tout en sachant qu’il y en aura 200 millions à 1 milliard dans trente ans. C’est quasiment dans les mêmes termes que, le 8 octobre 2018, Le GIEC, groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (ONU), a rendu public son rapport, demandé lors de la COP 21. Ce rapport est un constat lucide et difficile dont voici un extrait :
  • « Il faut des changements sans précédent dans tous les aspects de la société,
  • Il faut une transition rapide et de grande portée,
  • Dans le cas contraire, la catastrophe sera planétaire,
  • La politique des petits pas ne suffit pas ».
Que recouvre la notion de crise écologique ? C’est le moment où l’environnement d’un individu, d’une espèce ou d’une population évolue de façon défavorable à sa survie. Déjà en 1989 dans son ouvrage « Les trois écologies », Félix Guattari (1) développait la notion d’écosophie ou écologie « globale » recouvrant : l’écologie environnementale pour les rapports à la nature, à l’environnement ; l’écologie sociale pour les réalités économiques et sociales ; l’écologie mentale (ou intérieure) pour les rapports à la psyché. Donc, pour Félix Guattari, l’écologie n’est pas seulement ce qui concerne la nature, mais c’est aussi ce qui concerne la société et les individus. La notion d’écologie s’est élargie. Nous constatons que notre environnement naturel connait d’importantes évolutions dont les principales sont dues à la déforestation, à la pollution des océans, à la fonte des glaces et à la diminution des espèces. L’environnement humain subit d’autres graves dommages dus principalement aux guerres, aux conflits armés, au terrorisme, aux migrations et à la surpopulation. Pour Patrick Viveret (2), la société dans laquelle nous vivons depuis les années 80, marquée par la valeur de l’argent (ce qui n’est pas source de profit n’a pas de valeur), la fascination de la force dominatrice et la violence des relations entre personnes, tout cela a créé un environnement naturel très dégradé qui provoque une grande souffrance physique, psychologique et morale. Le stress au travail est devenu commun, de même que les dépressions et les « burn-out ». L’origine est pour lui dans la perte de sens de la vie. De nombreuses initiatives ont été prises dans le passé au niveau international mais nous constatons aujourd’hui que les résultats sont décevants :
  • En 1945 : la création de l’ONU a été un immense espoir pour la paix dans le monde,
  • En 1988 : la création du GIEC (cité ci-dessus) par l’ONU a constitué aussi un espoir d’action commune de tous les pays,
  • En 1992 : la création par l’ONU de la COP (Conférence des Parties) dont l’objet est la lutte contre le réchauffement climatique…
En France, les engagements politiques du Président sont forts au plan international mais faibles actuellement au plan intérieur. Les partis politiques apparaissent peu constructifs, en revanche, de nombreuses initiatives sont initiées par des entreprises, des associations, des ONG, des collectifs, qui engagent des actions pour la transformation de la société. Toutes les données de la crise écologique sont connues et des informations alarmistes répandues par les médias nous parviennent quotidiennement et en détails, de même que les avis des détracteurs. Pourquoi cet échec ?  Pour Cyril Dion (3) : « Les gouvernements seuls sont bien souvent impuissants (ou réticents) pour opérer des transformations d’envergure. Tout va trop vite. La dictature du court terme et la volonté de gagner les prochaines élections les cantonnent à des mesures qui doivent être spectaculaires ou du moins rapidement efficaces. Il reste peu de place pour des transformations d’envergure, des plans ambitieux sur dix ou vingt ans, comme le réclameraient la lutte contre le changement climatique ou la disparition des espèces. » Pour Vandana Shiva (4) : « L’impératif écologique le plus important de notre temps est de mettre fin à l’illusion que nous sommes séparés de la Nature, que nous sommes les Maîtres de la Terre et que nous pouvons manipuler la Terre et les autres êtres à notre guise. » Pour Satish Kumar (5) : « L’homme doit redevenir humble et se reconnecter avec la nature. C’est à mon sens, le grand défi du 21ème siècle : comprendre que la nature n’est pas seulement là-bas, à l’extérieur, mais ici, en nous, puisque nous en faisons partie. » .. « La certitude que l’homme ne fait qu’un avec la nature nous permet de poser un regard neuf sur l’existence et d’apprécier la vie sous toutes ses formes … » La question qui se pose de manière urgente est aujourd’hui la suivante : Quelle solution mettre en œuvre pour résoudre la crise écologique ?  Quelle solution différente de tout ce qui a déjà été tenté sans grand succès ? L’homme étant à l’origine de l’état de la planète, n’est-ce pas à lui de changer, de se comporter différemment, de respecter l’environnement et ses composantes pour que le monde change ? Et comment l’être humain peut-il changer   Dans notre environnement naturel, des pistes sont proposées pour respecter la nature en produisant et consommant différemment, par exemple :
  • Se nourrir autrement,
  • Se déplacer autrement,
  • Recycler,
  • Produire moins de déchets,
  • Favoriser les énergies renouvelables non polluantes,
  • Respecter les sols,
Dans notre environnement social : il faudrait cesser d’organiser la société sur la base de la compétition, introduire de nouveaux concepts. Dans notre univers intérieur, dans notre conscience : Edgar Morin nous dit : « Les voies pour répondre à la menace écologique ne sont pas seulement techniques, elles nécessitent prioritairement une réforme de notre mode de pensée pour embrasser dans sa complexité la relation entre l’humanité et la nature, et concevoir des réformes de civilisation, des réformes de société, des réformes de vie. » Vandana Shiva nous dit : « Il n’y a pas de séparation entre l’intérieur et l’extérieur. Toute violence exercée contre la Terre provient d’une dégradation de notre être spirituel. Tout aspect de notre être spirituel qui devient plus conscient nous empêche de nuire aux autres. De même qu’il n’y a pas de séparation entre les humains et la Terre, il n’y a pas de séparation entre la vie spirituelle et la vie matérielle. » Le Dalaï Lama, toujours clairvoyant et positif, dit de la situation : « Les problèmes que vous rencontrez, qu’il s’agisse du climat, de la violence en général, et du terrorisme en particulier, n’ont pas été créés par Dieu, par Bouddha ou par des extra-terrestres. Ils ne viennent pas du ciel ou de la terre. Ce sont des problèmes dont l’humanité a créé les causes de toutes pièces. Et c’est une bonne nouvelle. Car si nous avons été capables de créer ces problèmes, il est logique de penser que nous avons les moyens de les résoudre. » Satish Kumar : « .. je tiens d’ores et déjà à souligner le caractère essentiel du lien qui unit le paysage intérieur d’un individu au paysage extérieur du monde ; spiritualité individuelle et pérennité de la nature sont intrinsèquement liées. La réalisation de soi passe par la quête de la compassion, de la vérité et de la beauté. La méditation nous permet de réunir l’écologie intérieure et l’écologie extérieure. » Ram Chandra  (6) : Invité en 1957 à la conférence de l’ONU pour la paix en sa qualité de Maître spirituel et ne pouvant s’y rendre, Ram Chandra a écrit au secrétaire général une longue lettre dans laquelle il dit : « Il est sûr et certain que tôt ou tard, nous devrons adopter des principes spirituels si nous voulons maintenir notre existence. » Et pour cela, il propose : « Que tous s’assoient quotidiennement et à heure fixe, chacun dans leur endroit respectif et méditent pendant une heure environ avec la pensée que l’amour de la paix et la piété se développent chez tous les gens du monde. » Ces grands penseurs placent la solution au niveau spirituel : c’est à partir de l’être humain lui-même, de son travail intérieur, de l’évolution de sa conscience que le monde peut changer. La méthode préconisée par plusieurs d’entre eux est la méditation dont on constate actuellement en Occident une vogue relayée par les médias car elle répond aux besoins essentiels actuels de la société. Elle est scientifiquement étayée par des études prouvant son efficacité et ses bienfaits : -Elle libère de la peur et de la culpabilité, qui nous habitent tous, -Elle permet de surmonter les hauts/bas émotionnels, l’instabilité de notre caractère, -Elle nous fait accéder à une paix de plus en plus stable et acquérir une force intérieure pour surmonter les difficultés de la vie, les comprendre et les traverser différemment, -Elle laisse émerger de grandes qualités humaines qui nous habitent et les rend plus dynamiques. L’ampleur de la crise écologique est violente et génère indéniablement des peurs, or « il est difficile de bâtir un avenir durable sur la peur » (Satish Kumar). Nous sommes conscients que tout est lié : l’être humain, la société et la planète et que l’homme est responsable de cette situation, c’est donc à lui d’agir. Il y a cinq mille ans, les valeurs des Védas (les Écritures sacrées) donnaient déjà les directions à suivre dans le respect de la vie sur terre. L’humanité aurait un immense bénéfice à intégrer aujourd’hui ces valeurs :
  • Respect de la vie et sauvegarde de la nature,
  • Sens des responsabilités et du service,
  • Coopération, tolérance, compassion, générosité,
  • Dimension spirituelle de la vie, de l’amour,
  • Volonté d’évoluer intellectuellement, moralement et spirituellement
afin de favoriser dans le monde un environnement de non-violence, d’harmonie, de paix et de joie, répondant ainsi aux besoins d’une écologie globale, à la fois de l’environnement (de la nature), sociale et économique (des organisations humaines) et intérieure (propre à l’individu). La solution fondamentale porteuse d’espoir est que l’être humain se tourne vers l’intérieur, vers la spiritualité pour une évolution de sa conscience qui transformera les autres plans. De nombreuses personnes ont déjà fait ce choix. L’éducation, notamment des plus jeunes, est essentielle et l’outil de la méditation est la clé. En une phrase simple, Krishnamurti disait que « la méditation est cette faculté d’appréhension totale de la globalité de la vie : de là naît l’action juste ». ———————————–
(1) Félix Guattari : Psychanalyste et philosophe français né le 30 mars 1930. Penseur engagé, il se présente sur la liste des Verts aux élections régionales de 1992 en Île-de-France mais meurt la même année le 29 août. Il a travaillé toute sa vie à la clinique de Laborde, haut lieu de la psychiatrie institutionnelle. (2) Patrick Viveret : Né en 1948. Professeur de philosophie et diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, il a été nommé conseiller référendaire à la Cour des comptes en 1990. Rédacteur en chef de la revue Transversales Science Culture de 1992 à 1996. Il préside l’observatoire de la décision publique. En 2001, il a participé au premier Forum social mondial à Porto Allegre. Co-fondateur de l’initiative internationale « Dialogues en Humanité ». Auteur de nombreux livres. (3) Cyril Dion : Co-fondateur du mouvement Colibris, auteur de livres à succès sur l’écologie, réalisateur du film Demain (4) Vandana Shiva : Militante indienne en faveur de l’environnement, conseillère auprès de gouvernements du monde entier, elle a participé à l’élaboration de lois pour la protection de la Terre et des agriculteurs. Auteur de plus de vingt livres, elle est un des leaders du Forum International sur la Mondialisation et défend les pratiques traditionnelles de l’agriculture durable, la biodiversité et les savoirs indigènes.   (5) Satish Kumar : Né au Rajasthan en 1936, résidant en Angleterre depuis 1973, Rédacteur en chef du magazine Resurgence & Ecologist, directeur adjoint des éditions Green Books et à l’origine de nombreux projets de développement spirituels, éducatifs et environnementaux.   (6) Ram Chandra : Né en 1899 en Inde du Nord, c’est une grande âme de l’Inde. Président fondateur en 1945 de la Shri Ram Chandra Mission (du nom de son Maître qui portait le même nom que lui). Décédé en 1983.

2. A. Le Rāmāyana Première Partie

Le mot Rāmāyana peut être décomposé en deux parties : rāma et ayana. “Rāma” en sanskrit vient de ram, le mantra semence du feu. C’est le mantra ram qui est utilisé pour la purification. Dans la période védique toutes sortes de pratiques yogiques étaient faites avec l’aide de cet élément cosmique, le feu. C’est l’infini qui s’exprime comme ram. Le mot “ayana” signifie : “ce qui nous conduit” vers notre être réel. C’est la source. Ainsi ce purāna commence par l’histoire de Daśaratha. Daśa signifie 10 (sous-entendu directions) et ratha signifie chariot. La katha upanisad (les upanisad sont l’expression des Védas) dit : « sarīram ratham eva tu » , « ce corps est comme un chariot ». Les organes des sens sont les chevaux qui tirent le chariot. Celui qui est conduit par le chariot c’est l’âme individuelle. Le conducteur du chariot c’est la buddhi, l’intelligence. Daśaratha représente l’âme individuelle, qui possède la capacité de se diriger dans n’importe laquelle des dix directions : huit directions autour de lui, une vers le haut et une vers le bas. Chaque âme individuelle possède cette capacité d’intelligence pour diriger la conscience dans les dix directions. L’âme qui est polluée, limitée, conditionnée par le psychophysique est aux prises avec de multiples difficultés qui causent les souffrances dans la vie. Si l’âme est purifiée, elle est conduite vers l’infini, la vie éternelle, la vie réelle. Au contraire si l’âme individuelle se dirige dans n’importe quelle direction, sans discernement, sans discrimination, l’individu est conduit vers toutes sortes de souffrances. C’est la signification du Rāmāyana. De même que l’âme individuelle veut avoir la satisfaction, la joie, Daśaratha voulait voir ce qu’est la joie. En réalité c’est le Soi qui est la joie, ce n’est pas le corps ni le mental. Mais pour la plupart d’entre nous, la joie c’est d’avoir un fils ou une fille, car nous tournons notre joie vers nos enfants et l’âme individuelle veut se voir elle-même en l’autre. Toutefois ce n’est pas un problème parce que, si l’on n’arrive pas à retourner à la source, les fils ou filles vont endosser la responsabilité de donner la direction juste vers la source réelle et essayer d’accomplir tout ce qui n’a pas été accompli dans la vie de leurs parents. Pour ces raisons, Daśaratha désira avoir des fils. Il avait trois épouses, les trois reines. La première est Kausalyā, dont le nom signifie “dominée par la qualité sattva”, elle est l’équilibre, la bonté du cœur, l’intelligence, la beauté, la personnalité totale. Kausalyā sait ouvrir son cœur à tout le monde, elle aime tout le monde. C’est cela sattva. Sa deuxième épouse, Kaikeyī est la personnification de rajas, l’agitation, l’avidité, l’égocentrisme, l’infidélité. Elle s’oppose à son époux, c’est une sorte de séparation, d’aliénation qui fait souffrir le roi, mais aussi les autres et la société. C’est ainsi que cette qualité rajasique conduit l’individu vers l’avidité et la destruction, elle fait souffrir la famille, la société, la nation, elle mène le monde à la destruction. C’est aussi ce que nous vivons aujourd’hui. Le nom de sa troisième épouse, Sumitrā, signifie : “amicale avec tout le monde”. Elle personnifie tamas. Toutes les trois vont donner naissance à des fils : Rāma est le fils de Kausalyā. Bharata est le fils de Kaikeyī. Sumitrā a deux fils, Laksmana et Śatrughna. Rāma, le premier fils, est l’expression de l’âme pure. En Rāma c’est la vie éternelle qui s’exprime. Bharata, l’âme dominée par la qualité rajas, ne l’est pas autant que sa mère car il a hérité d’une partie de la qualité sattva. C’est pourquoi l’avidité et l’égocentrisme étaient absents de sa personnalité. Le premier fils de Sumitrā, Laksmana, est la pureté, l’âme individuelle. Le deuxième fils est Śatrughna dont le nom vient de “śatru” qui signifie “l’ennemi”. Les ennemis sont l’avidité et l’égocentrisme qui nous conduisent à vouloir posséder tout pour nous-mêmes. Comme leur mère, les deux frères sont dominés par tamas, mais grâce à la force de leur frère Rāma, qui est la force sattvique, ils sont transformés. Ainsi Laksmana représente l’être total et Śatrughna peut s’opposer à ses ennemis. Tous les frères sont proches de Rāma, l’amour entre les quatre frères est intense, de telle sorte leur tempérament se transforme, il devient sattvique. Cela nous montre que nous devons maîtriser les qualités rajasique et tamasique pour atteindre l’état sattvique, l’état d’équilibre. Pour nous conduire vers la Réalité, pour être unifié avec la source, nous avons besoin de développer un amour intense dans notre cœur. Les quatre frères sont très proches grâce à cet amour. Être avec Rama veut dire être avec cette force qui nous purifie, qui nous aide à être dans cet état d’équilibre. En fait, les quatre frères sont un. De la même manière nous devons transformer les qualités tamas et rajas en la qualité sattva. C’est ce que feront les trois frères parce qu’ils sont connectés à Rāma. Rāma a épousé Sītā qui est la fille de la terre de l’Inde. À cette époque l’Inde a connu une importante immigration venue du Nord. Les immigrants sont les Aryens qui sont arrivés en Inde après avoir traversé la Perse et différentes régions. Alors que Sītā était originaire d’Inde et était dravidienne, Daśaratha et donc Rāma étaient aryens. Rāma était l’adorateur de sūrya, le soleil qui est adoré par beaucoup de gens en Perse, ce qui témoigne de son origine. Socialement parlant, étant marié à la fille du pays, il bénéficie de l’intégration. Mais beaucoup de gens étaient contre cette intégration. C’est le cas, par exemple, de Rāvana qui, lui aussi, était dravidien et, à ce titre, pensait avoir des droits sur Sītā, il voulait lui-même l’épouser. Rāvana connaissait de nombreuses sciences et pas seulement la science des armes. Il était un érudit dans le domaine des Ecritures. Mais il était dominé par la qualité rajas, l’agitation, la passion. Quand rajas domine l’âme individuelle, toutes sortes de confusions l’envahissent. On n’arrive pas à se diriger soi-même, on ne sait plus ni quoi faire, ni comment agir. Les deux mots Rāma et Rāvana commencent par la même syllabe : ra. Dans “Rāvana” il y a en plus  “vana” qui veut dire : “la forêt”. Dans cette forêt noire il est impossible de réfléchir de façon juste, on ne sait pas quoi faire, comment agir, où agir, quand agir. Comme Rāvana, si nous sommes emportés par les passions et les tentations nous sommes perdus dans la forêt, vana. Rāma est la Réalité infinie.  Sītā n’est pas différente de cette Réalité. En sanskrit Sītā c’est la śakti qui signifie “force”. Dans les valeurs spirituelles il y a trois sortes de forces qui s’expriment en nous. La première force, cit śakti, est la force de connaissance, la conscience pure. Cette conscience pure s’exprime comme la force d’intelligence pure. C’est elle qui nous montre le chemin juste, de quelle façon agir, comment agir, à quel moment agir. Sītā symbolise l’expression de cette śakti, l’expression de cette force. Cette intelligence, s’exprime comme force de volonté : c’est la deuxième force, icchā śakti. Par exemple quand des parents veulent un enfant, c’est la force de volonté, l’icchā śakti qui les fait agir. Alors le cœur s’exprime. La troisième force est kriya śakti, la force d’activité, qui nous permet d’accomplir tout ce que nous voulons. L’intelligence et la volonté se combinent pour que cette kriya śakti s’exprime. Sītā est la combinaison de ces trois forces. Rāma est la vie éternelle qui s’exprime en chacun de nous. Dans le monde, la śakti s’exprime comme attirance, c’est pourquoi Rāvana est attiré par Sītā. Mais il ignore que cette attirance est, en réalité, attirance vers l’infini. À cause de cette attirance il veut épouser Sītā et il met en œuvre tous les moyens possibles pour la posséder, jusqu’au vol. Comme l’avidité domine sa personnalité, son attirance et son identification à ses passions le conduisent à des actes cruels. Il devient cruel, partout, dans chaque acte, dans chaque pensée. L’homme, qui est dominé par rajas et qui est devenu l’agitation même, est rempli de confusions, de colère, et à cause de cela il perd la tête, son intelligence ne fonctionne plus de façon juste et il est conduit à faire toutes sortes d’actions injustes. C’est pourquoi Rāvana a enlevé Sītā. Il croyait que cela le rendrait heureux, que cela lui donnerait des plaisirs. Nous aussi, de la même manière, nous recherchons des plaisirs. Nous devons être conscients de la Réalité pour progresser dans la vie de tous les jours. Sinon nous entrons dans la “forêt noire”, la forêt inconnue où nous n’arrivons pas à trouver notre chemin. Si nous ne suivons pas ces valeurs qui nous ont été proposées il y a plus de 10 000 ans, nous sommes conduits à des guerres, des conflits, à cause des divisions et des croyances erronées, comme nous pouvons le voir encore aujourd’hui. Alors pourquoi ne pas revenir à ces valeurs éternelles ? Mais comment allons-nous utiliser les trois śakti citées ci-dessus ? Allons-nous les utiliser pour notre avidité ? Si nous les manipulons pour des besoins ordinaires, nous créons des problèmes et des difficultés. L’enseignement est le suivant : « Vous êtes cette Réalité infinie, vous possédez des potentialités infinies et ces potentialités s’expriment comme śakti ». Il est essentiel de comprendre comment utiliser les trois forces de façon juste, car les souffrances proviennent de la méconnaissance de l’expression de ces forces dans la personnalité.

2. B. Le Rāmāyana Deuxième Partie

Il existe une deuxième signification : le mariage de Rāma et Sītā, comme tout mariage, représente l’union de deux âmes. Quand l’âme est unifiée, on ne peut plus la séparer. Quand deux âmes sont unifiées par le mariage, comment peuvent-elles divorcer ? Vous pouvez dire que c’est fini dans le domaine matériel, mais comment pourriez-vous dire que c’est fini lorsqu’une âme a été unie avec une autre âme ? C’est pourquoi dans le védanta brahman et śakti sont un, il n’y a pas de différence. L’infini c’est brahman qu’on peut aussi appeler Rāma. La force de brahman c’est śakti qu’on peut appeler Sītā. Rāma et Sītā ne peuvent être séparés, comme brahman et śakti sont inséparables. L’homme et la force de l’âme sont un. La śakti est toujours l’expression de brahman, la Réalité, ils sont inséparables. Rāvana était un rāksasa, c’est-à-dire un être au caractère cruel, qui veut dominer les autres et leur créer des problèmes. Un rāksasa réalise des actions injustes et il utilise le pouvoir de façon injuste. L’homme qui a le caractère d’un rāksasa essaye de mettre toutes sortes d’obstacles contre la recherche spirituelle, de manière que les scientifiques spirituels ne sachent plus de quelle façon ils peuvent aider la société. Par exemple dans le Rāmāyana, Rāvana demanda à son frère de placer des obstacles contre les sacrifices pour empêcher que les sacrifices, qu’on nomme en sanskrit “yajña”, soient une révélation pour les sages. Le sacrifice, en effet, qui est une sorte de yoga, est une prière et une méditation sur l’absolu, une introspection par laquelle les sages essayent de découvrir quelque chose de nouveau qui soit bénéfique pour tout le monde, pour la société. Rāma est donc une incarnation divine et une expression de l’Infini. L’Infini est appelé “rtam” qui signifie l’harmonie. C’est la force de vie qui contient l’harmonie, la paix, l’amour. Tout ce dont nous avons besoin est là dans cette Réalité. Rāma est la force de vie qui s’exprime dans les sept aspects de l’infini : l’harmonie d’énergie pure, la luminosité, la beauté ; ces trois aspects ensemble s’expriment comme : l’amour pur, qui s’exprime comme : l’intelligence pure. En effet si vous n’aimez pas quelque chose vous n’allez pas mettre d’enthousiasme pour savoir ce que c’est ou pour savoir d’où cela vient. Vous préférez rester dans l’ignorance. Ce n’est que lorsque vous commencez à aimer quelque chose que vous essayez de l’analyser, de mener une recherche, de faire appel à l’intelligence. L’intelligence pure élimine toutes les contractions, conditions, limitations. Elle permet la concentration, c’est la force qui s’exprime en nous comme force de recherche. L’intelligence nous rend capables de savoir ce qu’est le réel, et c’est : la connaissance, la sagesse, qui elle-même nous conduit à : la félicité infinie. Les sages, les scientifiques spirituels, essayent d’avoir la perception directe du Réel. Mais toutes sortes de forces surviennent qui prennent la forme d’obstacles. Par exemple si vous méditez chez vous, les autres peuvent vous critiquer : « Oh, c’est un être sectaire », « Pourquoi lisez-vous cela ? Cela ne sert à rien. Ce sont des idées du passé ». Mais ces personnes qui vous critiquent ont-elles essayé de découvrir de quelle façon une pensée, même ancienne, est utile dans la vie de tous les jours ? Les hommes des anciennes sociétés voulaient eux aussi le bonheur et ils le recherchaient scientifiquement. Il y a des milliers d’années, ils faisaient déjà des recherches qui leur ont donné des connaissances. Par exemple, dans la région où coule la rivière Sindhu, la société indo-européenne était très avancée : ils avaient découvert des méthodes pour prévoir les tremblements de terre, les inondations ou une sécheresse. Ils ont aussi appris comment progresser vers le bonheur. Bien que déjà marié, Rāvana voulait une deuxième femme, il voulait épouser Sītā, par avidité à cause d’une attirance illégitime. Un tel désir illégitime conduit l’homme à la souffrance, aux difficultés. Ce n’est pas l’attirance physique qui peut conquérir ; pour conquérir il faut le cœur. Malgré les conseils des autres il n’a jamais changé d’avis. Son frère, Vibhisana, était d’un haut niveau spirituel, il connaissait le Réel, l’Infini, pour lui la Réalité était  l’incarnation de l’Infini même, que vous pouvez appeler Dieu. Il eut l’intuition de la destruction de la société et il a conseillé à son frère Rāvana de prendre refuge auprès de cette Réalité. Rāvana ne l’a pas écouté, et toutes ses possessions ont été détruites. Tout a été éliminé. Quand Sītā a été enlevée, Rāma en la cherchant, arrive dans un lieu peuplé de singes. Les singes ne sont pas réellement des singes. En nous, des milliers et des milliers d’impressions sont là, qui s’expriment de multiples façons. Parmi les impressions, certaines sont positives, celles qui nous aident à nous maîtriser nous-mêmes. Certaines sont négatives, mais nous pouvons les maîtriser et les transformer. C’est ce que signifient les singes. Parmi eux, certains sont devenus saints, ils ont en eux de la sagesse, ils représentent les aspects positifs en nous. Parmi les singes il y a Hanumān. Son nom vient de “manas”, le mental, qui est établi dans l’équilibre. C’est ce que nous dit la Bhagavad Gītā : « Comment décrit-on un homme dont la sagesse est bien établie et qui est ferme dans la contemplation ? Comment parle-t-il cet homme à l’intelligence stable ? Comment s’assied-il  et comment marche-t-il ? » . Le mental s’équilibre, sans quoi il vient à connaître toutes sortes d’agitations, pareil aux singes qui sautent d’une branche à l’autre. Cette fluctuation est maîtrisée par celui qui pratique le yoga et Hanumān est un grand yogi. Hanumān pratique le karma yoga, autrement dit tout ce qu’il fait est dans la perfection, dans l’Amour. Tout ce qu’il fait est pour l’amour du Seigneur, qui est symbolisé par Rāma : « Tout ce que je fais, c’est pour Rāma », pour cette perfection d’être. Hanumān montre de la dévotion, c’est la pratique du bhakti yoga. Il répète toujours le nom de Rāma, ce qui signifie que sa conscience est toujours connectée avec la Réalité infinie. Hanumān pratique aussi la concentration, le rāja yoga. Quand il vit cette concentration totale, aucune force ne peut l’affecter. Enfin Hanumān pratique le quatrième yoga, la connaissance, le jñāna yoga. Il est le premier parmi les connaisseurs de la Réalité. Ainsi, dans le caractère d’Hanumān, vous trouvez l’intégration des quatre yogas. Le Rāmāyana montre ses capacités yogiques, par exemple il sait de quelle façon il peut réduire son corps à la taille d’un atome ; il connaît aussi le pouvoir de devenir immense. Hanumān avait aussi le pouvoir de voyager dans l’espace. Ces capacités yogiques sont des pouvoirs surnaturels. Ce n’est pas pour nous mais, dans la pratique du yoga, certains acquièrent de tels pouvoirs ou siddhi. Tout cela nous montre que si nous ne sommes pas conscients de la Réalité qui s’exprime en nous, si nous laissons l’ignorance ou l’avidité la conditionner, c’est la destruction. Cette histoire nous montre que nous devons être toujours conscients de la Réalité dans la vie de tous les jours. Pour que l’intelligence conduise ce chariot dans la bonne direction, nous devons la libérer de toutes les forces extérieures. Sinon les organes des sens nous attirent vers l’extérieur : quand ils disent « cela est la vérité, la réalité », l’âme dominée par rajas croit que c’est la vérité : « voilà ce qui me donne la joie, je veux le posséder ». Cette façon de penser c’est l’ignorance. Rāma élimine tous les caractères rajasiques. C’est ainsi que Vibhīsana a toujours été conscient de la Réalité et n’a jamais subi cette souffrance, ni souffert d’une guerre. Tous ceux qui entrent dans cet espace d’agitation sont détruits. Tandis que la qualité sattva nous conduit vers notre être réel. Voilà la signification du Rāmāyana.

3. Le Mahābhārata

Ce que décrit le Mahābhārata est similaire. L’histoire du Mahābhārata présente deux forces : la force sattvique et la force rajasique qui se combine avec tamas, l’inertie. Dans l’état d’inertie nous n’arrivons pas à réfléchir, il n’y a plus aucune activité positive, c’est l’ignorance qui domine. A l’intérieur du Mahābhārata, la Bhagavad Gītā est l’essence, la crème. Elle est ce qui reste quand on a éliminé les histoires inutiles, elle donne le sens, ou les valeurs importantes, pour la société. La Bhagavad Gītā commence avec une scène de guerre qui représente la guerre que nous menons en nous-mêmes. Nous devons combattre tout le temps les forces indésirables, les forces qui nous conduisent à la destruction, à l’avidité. Les cinq frères Pāndava ne sont pas différents : en eux c’est la même âme qui s’exprime. Le premier des frères est Yudhisthira dont le nom signifie “ferme”. Il représente la fermeté dont nous avons besoin pour mener nos actions dans cette vie. La fermeté est une expression de l’Infini. Dans cette histoire Krsna signifie « ce qui nous attire », c’est le Soi qui nous attire, nous aimante. C’est le Soi qui est la source de tout et qui s’exprime de façon différente en chacun. Il est important que nous en ayons la ferme conviction. Quand nous sommes convaincus de ce qu’est la Réalité nous sommes plus forts. Le deuxième frère s’appelle Bhīma dont le nom signifie courageux, plein de force, de la force d’intelligence, la force du cœur, de l’action. Ce courage est terrible pour les forces ennemies. Chez Arjuna, le troisième frère, les deux aspects fermeté et force se combinent pour développer la concentration et l’efficacité. Personne ne peut le détruire. Cette force est victorieuse dans tous les combats de la vie. Quand la Réalité s’exprime dans la personnalité, il y a une beauté, pas simplement physique, mais la beauté de la personnalité, la beauté du cœur. L’homme devient total. Les cinq frères sont l’homme total, l’homme parfait. L’homme devient parfait grâce à la force de l’Infini qu’on peut par exemple appeler Krsna. Les adversaires sont les Kaurava dont le caractère est dominé par rajas, l’avidité. Le roi Dhrtarāstra s’identifie totalement avec le royaume, le corps. Il a oublié tout le reste. Selon lui tout ce qui est contre le psychophysique doit être éliminé. C’est à cause de l’expression de l’ignorance que Dhrtarāstra et ses fils sont rajasiques, cruels. L’avidité s’exprime dans chacune de leurs actions, partout. Tel est ce que le Mahābhārata nous explique. Ce n’est pas l’histoire qui est importante mais nous devons aller dans la profondeur de ce qu’elle exprime. La suite des explications du Mahābhārata sera donnée lors d’une prochaine conférence.L
X