L’éducation, pour quel avenir ? Swami Vivekânanda et une nouvelle pédagogie

L’éducation, pour quel avenir ?
Swami Vivekânanda et une nouvelle pédagogie
Article de Swami Atmarupananda

La célèbre définition de Swami Vivekânanda est au cœur de toute discussion sur sa vision de l’éducation : « L’éducation est la manifestation de la perfection déjà présente dans l’homme »[1].

La signification philosophique de la définition du Swami est la vérité fondamentale de l’advaita vedānta : chacun est l’ātman, déjà parfait, l’essence même de l’existence, de la connaissance et de la félicité ; l’éducation est donc le processus par lequel cette perfection intérieure est réalisée. Ainsi, la connaissance vient de l’intérieur, parce qu’elle est déjà là.

Le cheminement habituel pour l’élaboration d’une méthode pédagogique dans le monde moderne part du processus scientifique d’observation du comportement des enfants, la découverte de modèles dans leurs modes d’apprentissage, puis l’élaboration d’un modèle de pédagogie adapté. Il s’agit d’un processus inductif, qui part de l’observation, trouve des schémas dans les données observées et tire des conclusions sur la base de ces schémas.

Pourtant, Swami Vivekânanda est parti d’un principe philosophique et notre tâche consiste à en déduire une méthode pédagogique.

Tout d’abord, le principe selon lequel « L’éducation est la manifestation de la perfection déjà présente dans l’homme » n’est pas un principe philosophique au sens occidental du terme. Il s’agit plutôt d’un fait expérimental pour un esprit illuminé, une vérité profonde réalisée dans les profondeurs de l’expérience spirituelle. De plus, bien que ce principe soit étranger à la pensée des gens ordinaires, il peut être compris par les gens ordinaires, parce que c’est la vérité de notre propre être.

Mais ce principe ne peut pas être appliqué de manière abstraite. Pour en développer une méthode pédagogique et l’appliquer, nous devons observer la façon dont les enfants apprennent.

Comme Swami Vivekânanda l’a dit : « L’homme ne va pas de l’erreur à la vérité, mais de la vérité à la vérité ». Il ne s’agit pas de dire que toutes les idées qui nous ont précédés sont fausses, et que nous arriverions maintenant à la vérité, mais plutôt qu’il existe une vérité fondamentale, une vérité expérimentale. Nous nous servons de l’expérience d’autres pédagogues pour former un modèle harmonieux de pédagogie.

Le sens commun veut que l’éducation soit le transfert dans l’esprit des étudiants d’informations utiles provenant de réservoirs de connaissances externes, tels que les livres et les experts. En d’autres termes, ce point de vue considère que la connaissance est extérieure et qu’elle doit être transférée dans la personne.

Le point de vue de Swamiji, basé sur la perception directe du Soi de l’homme, est exactement le contraire. Toute la connaissance est déjà à l’intérieur : « L’enseignement rend cette connaissance manifeste, consciente ; il ne « met » pas quelque chose dedans ». Le Swami lui-même en explique l’essence à travers l’exemple de Newton et de la pomme. L’idée de la gravitation n’était pas dans la pomme ni dans la terre sur laquelle elle est tombée. Newton a observé une nouvelle relation d’idées dans sa propre conscience qui expliquait le phénomène extérieur. Nous avons tous vécu des expériences similaires, comme si une ampoule mentale s’allumait soudainement. Dans un éclair de compréhension, nous voyons comment les choses s’emboîtent, qu’il s’agisse d’un problème mathématique ou de la façon de cuisiner un nouveau plat. La plupart des apprentissages sont plus progressifs, sans éclair soudain de compréhension, mais le processus est le même.

Le Swami explique la même idée sous un angle différent dans le karma yoga. Il définit le travail comme suit : « Comme le feu dans un morceau de silex, la connaissance existe dans le mental. Le déclencheur est la friction qui la fait émerger. Chaque coup mental ou physique donné à l’âme, qui, pour ainsi dire produit le feu dans le silex, et révèle dans l’âme son propre pouvoir et sa propre connaissance est du karma, ce mot étant utilisé dans son sens le plus large »[2].

C’est ainsi que nous apprenons. Le karma yoga ne consiste pas seulement à faire des choses : c’est le grand yoga de l’expérimentation de la réalité. Il n’est par principalement une expérience de l’esprit, car c’est le rāja yoga, ni l’expérience du sens du Soi, car c’est le jñāna yoga, ni l’expérience de l’objet de l’amour, car c’est le bhakti yoga. Mais il est la perception de la réalité elle-même par l’expérience à tous les niveaux, depuis le fonctionnement de la matière jusqu’à la conscience la plus élevée. C’est le processus d’apprentissage.

L’éducation ne doit pas consister à bourrer l’esprit d’informations : le Swami a dénoncé à maintes reprises les méfaits d’un tel apprentissage. L’éducation est un processus de découverte où le monde extérieur est utilisé comme un stimulus pour faire émerger la compréhension qui existe en nous. Pour le Swami, l’éducation n’est pas seulement une découverte, mais aussi un éveil : elle nous éveille à qui nous sommes, à ce qu’est le monde, à notre relation avec le monde et à ce qui a de la valeur. L’éveil est le résultat de la découverte.

Le Swami a dit un jour : « Si je devais refaire mon éducation, je n’étudierais pas du tout les faits. Je développerais le pouvoir de concentration et de détachement, et ensuite, avec un instrument parfait, je collecterais des faits à volonté »[3]. Cela découle de la définition de l’éducation donnée par le Swami, car si la connaissance est déjà à l’intérieur, la tâche principale de l’éducateur est d’enseigner à l’enfant comment faire appel à cette compréhension interne, par le contrôle du mental et des sens.

Il ne s’agit pas d’apporter des réponses, mais plutôt de proposer des défis positifs. Il est évident que l’apprentissage comprend également l’acquisition d’informations, elle ne devrait pas être le point central mais devrait découler du processus de découverte. Comme l’a dit le Swami, si l’esprit de l’enfant est correctement formé, il sera alors capable d’acquérir toutes les informations nécessaires beaucoup plus facilement et beaucoup plus rapidement.

Si l’éducation est un processus de découverte et d’éveil, un aspect important de l’éducation consiste à enseigner aux élèves comment poser des questions, et non à leur donner des réponses à mémoriser. Il faut ensuite leur enseigner les compétences nécessaires pour poursuivre leurs questions. L’une des caractéristiques étonnantes des upaniṣad est l’exquise beauté et la profondeur des questions posées, telles que : « Qu’est-ce qui, une fois connu, permet de connaître tout ce qui existe ici ? »[4] Et « Par qui le mental est-il dirigé vers ses objets ? »[5] L’éducation à l’époque védique devait être merveilleuse pour que les élèves puissent poser de telles questions, des questions que le monde moderne, avec tout son savoir, ne peut même pas formuler ! Il faut donc apprendre aux enfants à poser des questions, puis à poursuivre leurs recherches.

Selon le Swami, la formation du caractère est la partie la plus importante de l’éducation. On parle beaucoup aujourd’hui de l’éducation aux valeurs. L’expérience acquise dans ce domaine est utile dans le cadre d’un nouveau modèle pédagogique. L’éducation aux valeurs doit faire partie intégrante de l’expérience éducative elle-même, et ne pas être un ajout. Elle doit être l’objectif de tout processus éducatif et être mené grâce à des exemples vivants. L’enseignant ne doit pas être considéré comme un transmetteur d’informations, ni comme un dispensateur de discipline, mais comme la flamme qui allume d’autres flammes.

Peut-être pourrait-on réfléchir à un système inspiré des gurukula[6] de l’Inde ancienne, mais adapté à la vie moderne pour tenir compte du fait qu’il existe une partie plus intangible de l’expérience qui ne peut être exprimée sous forme d’informations objectives, et que l’expérience ne peut être communiquée que de personne à personne, et non pas de livre à personne ou de vidéo à personne.

[1] Complete Works of Swami Vivekananda (Kolkata : Advaita Ashrama, Mayavati Memorial Edition), vol. 4, p. 358

[2] Complete Works, vol. 1, p. 29

[3] Complete Works, vol. 6, p. 39

[4] Muṇḍaka Upaniṣad 1.1.3

[5] Kena Upaniṣad 1.1

[6] L’ancien système dans lequel l’étudiant vivait avec le professeur.

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